Baisse des cours pétroliers : quel impact sur les majors en Afrique ?

Baisse des cours pétroliers : quel impact sur les majors en Afrique ?

Après deux années fastes (2022-2023) où les prix du baril ont atteint des sommets, le marché pétrolier mondial est entré en phase de correction. Le Brent, autour de 100 $ en 2022, a chuté aux alentours de 60–70 $ en 2024-2025, sous l’effet conjugué du ralentissement de la demande, de la guerre commerciale sino-américaine et du recentrage de l’OPEP+ sur les parts de marché. Cette dégradation des cours pèse directement sur les recettes pétrolières et les plans d’investissement. Pour les majors TotalEnergies, Eni et BP, historiquement bénéficiaires des « années stratosphériques », l’heure est à la révision des objectifs financiers et opérationnels. Comme le souligne Patrick Pouyanné (PDG de TotalEnergies) lors des résultats du deuxième trimestre 2025, le bénéfice ajusté du groupe a plongé de 23 % à 3,6 milliards de dollars, en dépit d’une hausse de la production, alors que le baril ne valait plus que ~68 $. De son côté, BP a confirmé qu’il relançait ses dépenses pétrolières à 10 milliards/an et visait une production de 2,3–2,5 millions de barils équivalent pétrole par jour d’ici 2030, au détriment des renouvelables.

L’Afrique, un enjeu stratégique pour les majors

Le continent africain prend une place croissante dans la stratégie des majors. Riche en nouveaux gisements, il offre des perspectives à long terme. Par exemple, l’Italie a recentré sa diplomatie énergétique sur l’Afrique du Nord, avec Eni qui prévoit d’investir ~24 milliards d’euros en Algérie, Libye et Égypte d’ici 4 ans. Ces pays du Maghreb, tout comme l’Afrique subsaharienne (Angola, Nigeria, Congo, Mozambique, etc.), figurent parmi les principaux fournisseurs alternatifs pour l’Europe. Les majors ont signé des projets colossaux : TotalEnergies a repris son chantier de gaz naturel liquéfié au Mozambique (~20 milliards $) après une interruption liée à l’insécurité, BP et Eni ont créé la joint-venture Azule Energy en Angola pour développer un champ de gaz géant, et TotalEnergies s’apprête à investir massivement au large de la Namibie (projet Venus) si les coûts de production peuvent rester très bas.

L’Afrique attire aussi par sa demande énergétique croissante. Les prévisions de production et de consommation locales sont élevées : le Nigeria vise plus de 2 millions de barils par jour à court terme (et 3 millions à long terme), l’Angola table sur une envolée de 20 % de sa production gazière d’ici 2030, et de nombreux pays amendent leurs législations pour attirer les investissements. L’émergence de compagnies nationales et régionales (NOC) et d’indépendants (Seplat au Nigeria, Afentra en Angola, Renaissance Energy) est notable : elles rachètent des blocs cédés par les majors et mettent de l’argent sur la table, Renaissance a annoncé 15 milliards $ d’investissements au Nigeria dans les prochaines années. Cette consolidation ouvre la voie à un prochain cycle de croissance de la production africaine, avec les projets existants et en exploration.

Des majors en phase d’adaptation aux cours bas

La chute des prix oblige les majors à adapter leurs plans africains. D’un côté, elles minimisent l’impact immédiat en conservant des objectifs à long terme : TotalEnergies répète qu’il continuera à racheter 2 milliards $ d’actions par trimestre tant que le pétrole restera autour de 70 $, et prévoit une légère hausse de la production mondiale au troisième trimestre 2025 (+3 % annualisé). BP, de son côté, réaffirme sa volonté de croissance globale du pétrole et du gaz, revoyant son plan initial pour accroître ces productions d’ici 2030. Eni, très présent en Afrique du Nord, maintient pour sa part de gros investissements structurants, notamment dans le gaz, via le plan Mattei, malgré le repli des cours.

Mais ces groupes ne sont pas insensibles aux marges : certains projets jugés trop coûteux sont mis en veille. En Namibie, TotalEnergies a déclaré qu’un projet pétrolier (Venus) ne se fera que si le coût d’extraction reste en dessous de 20 $ par baril. En Afrique de l’Ouest, Eni et Shell ont déjà délaissé certains champs terrestres nigérians pour se concentrer sur des zones offshore plus rentables. Par ailleurs, les majors cèdent des actifs pour renforcer leurs bilans : TotalEnergies a vendu plusieurs participations (notamment au Nigeria et en Argentine) pour ~3,5 milliards $ en 2025. Elles réévaluent aussi leur mix énergie, par exemple, TotalEnergies investit désormais très nettement dans le gaz naturel et les solutions électriques en Afrique, tandis que BP réduit ses dépenses renouvelables pour favoriser le gaz et le pétrole.

Pressions sur les États producteurs africains

La baisse des revenus pétroliers pèse lourdement sur les économies exportatrices africaines. Le Nigéria, plus grand producteur africain, a déjà réduit ses prévisions budgétaires : son budget 2025, bâti sur un prix du brut à 75 $, doit être réévalué car les cours réels flirtent plutôt avec 68 $. Le Fonds monétaire international (FMI) recommande de durcir les dépenses sociales et de réformer les subventions en réaction à cette volatilité. En Angola, deuxième producteur du continent, le choc est tel qu’un recours probable au FMI est évoqué. La ministre des Finances d’Angola a reconnu que les autorités testaient les scénarios de cours plus bas et n’hésiteraient pas à geler certaines dépenses si le Brent retombait autour de 45 $. Début 2025, Luanda avait dû débloquer 200 millions $ en garantie pour faire face à une « margin call » bancaire liée à la baisse des prix.

Ces creux pétroliers font craindre un retournement des efforts d’assainissement budgétaire dans toute la région. Au Gabon, par exemple, la chute récente des cours après les nouvelles taxes commerciales américaines pourrait encore aggraver l’endettement public déjà mal en point. À l’inverse, les pays très dépendants des importations bénéficient de perspectives plus favorables (baisse des coûts énergétiques pour l’Afrique du Sud, par exemple). Mais pour les grands exportateurs, le message est clair : un prix sous-estimé dans les budgets entraîne des coupes ou une hausse de l’endettement. À court terme, la tension entre majors et États africains peut croître : ceux-ci réclament parfois des garanties de production ou des recettes stables, alors que les compagnies multiplient les clauses de revoyure.

Perspectives : une transition en accélération

À moyen terme, malgré cette accalmie tarifaire, l’Afrique reste au cœur des plans stratégiques des majors. Le potentiel de croissance de la demande locale (électricité, transports, industrie) et les immenses réserves, surtout gazières (Mozambique, Angola, Côte d’Ivoire, Égypte), soutiennent l’optimisme. Dans un contexte où l’OPEP+ relève la production pour capter des parts de marché, les prix pourraient se stabiliser autour de 70–80 $ plutôt que de repartir à la hausse spectaculaire de 2022. Les majors ont donc vocation à poursuivre les grands projets africains, en misant davantage sur le gaz (croissance de la liquéfaction en Angola et Nigeria, incursion en Europe via le gaz nord-africain) et en adaptant leur portefeuille selon la rentabilité et les nouvelles régulations climatiques. Toutefois, la transition énergétique mondiale et la pression sociopolitique imposeront plus de contrainte. Les groupes devront équilibrer leur désir de croissance pétrolière (les prévisions internes de TotalEnergies, BP et Eni tablent encore sur un volumineux portefeuille fossile à l’horizon 2030) avec les aspirations locales (emploi, fiscalité, environnement) et globales (énergie décarbonée).

En conclusion, la décrue des cours du pétrole remet certes en cause des marges à court terme et force des ajustements budgétaires, mais ne semble pas radicalement bouleverser l’attrait de l’Afrique pour les majors énergétiques. Les trois groupes, TotalEnergies, Eni, BP, continuent de parier sur le continent, conscients que la demande mondiale reste solide et que l’Afrique peut jouer un rôle central dans la sécurité énergétique à moyen-long terme. Les prochaines années s’annoncent donc clés : elles devront concilier prudence financière (via maîtrise des coûts et rééquilibrage de portefeuille) et ambition de croissance (via des investissements ciblés, notamment dans le gaz et la décarbonation), sous l’œil vigilant des pays africains producteurs qui scruteront chaque effet de la volatilité pétrolière sur leurs recettes.

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