Alors que l’Afrique subsaharienne comptera encore près de 600 millions de personnes privées d’électricité en 2030, un obstacle fondamental à son développement économique et humain, la création de la Banque Africaine de l’Énergie (BAE) émerge comme une réponse stratégique et audacieuse à cette crise persistante. Dans un contexte de tension entre urgences de développement et impératifs climatiques globaux, cette nouvelle institution panafricaine se donne pour mandat de combler un déficit de financement estimé à 25 milliards de dollars annuels pour atteindre l’accès universel à l’énergie.
L’absence d’énergie fiable touche tous les aspects de la vie quotidienne. Un enfant ne peut étudier après le coucher du soleil sans lumière, une entreprise voit sa productivité s’effondrer faute d’électricité stable, et l’industrialisation d’une nation entière est compromise. Dans les cas les plus dramatiques, une panne de courant peut transformer un simple dysfonctionnement technique, comme la défaillance d’un réfrigérateur dans un dispensaire, en une crise sanitaire majeure. Ces exemples illustrent l’interdépendance des défis énergétiques avec la santé, l’éducation et la croissance économique.
Pourtant, l’Afrique se trouve à un carrefour historique. Les récentes découvertes massives de pétrole et de gaz, parmi les plus importantes au monde, offrent une opportunité unique de sécuriser l’approvisionnement énergétique, de réduire les coûts pour les ménages et les entreprises, et d’assurer des prix abordables pour tous. C’est dans ce contexte que la Banque Africaine de l’Énergie (BAE) émerge comme une institution phare, non plus comme une simple ambition, mais comme une nécessité vitale pour l’avenir du continent.
Créée pour naviguer dans les complexités financières et équilibrer les besoins urgents de développement avec les impératifs climatiques globaux, la BAE s’est fixé un objectif audacieux : mobiliser 25 milliards de dollars par an pour atteindre l’accès universel à l’énergie d’ici 2030. Ses priorités de financement visent un équilibre adapté aux réalités africaines, en exploitant les vastes ressources en combustibles fossiles pour une sécurité énergétique immédiate, tout en accélérant l’adoption des énergies renouvelables (solaire, éolienne, hydraulique et géothermique) et en considérant le nucléaire comme complément.
L’objectif est clair : bâtir des systèmes énergétiques diversifiés et résiliants, capables de répondre aux besoins économiques et sociaux, de créer des emplois et d’améliorer les conditions de vie. Cela implique non seulement des investissements dans la production, mais aussi dans les infrastructures de transport et de distribution, pour connecter les zones urbaines, industrielles et rurales.
Un obstacle majeur réside dans le désinvestissement global des combustibles fossiles. Les institutions occidentales et les financiers traditionnels se retirent progressivement de ces secteurs, compliquant le mandat de la BAE qui inclut le financement de projets pétroliers et gaziers à court et moyen terme pour répondre à la demande immédiate.
Pour surmonter cela, la BAE adopte une stratégie multifacettes. D’abord, elle défend l’impératif moral de l’Afrique : avec une contribution historique minime aux émissions mondiales, le continent doit exploiter ses ressources pour son développement. Le gaz naturel est présenté comme un carburant de transition essentiel pour l’industrialisation, plutôt qu’une dépendance à long terme. Ensuite, la diversification des sources de financement est prioritaire, en cherchant des capitaux auprès de partenaires non traditionnels et en maintenant un dialogue nuancé avec les institutions occidentales sensibles à la trajectoire unique de l’Afrique. Enfin, la BAE plaide pour des approches différenciées, reconnaissant que la transition énergétique africaine ne peut calquer celle des pays développés, nécessitant des investissements continus dans les hydrocarbures pour soutenir une croissance économique durable et financer les renouvelables.
Les projets énergétiques africains sont souvent vus comme risqués par les investisseurs internationaux, en raison de l’instabilité politique, des incertitudes réglementaires, de la volatilité des devises et de la demande. Cela élève le coût du capital et décourage les engagements.
Pour surmonter ces obstacles, la Banque Africaine de l’Énergie devra déployer une stratégie financière multidimensionnelle et innovante. Premièrement, un plaidoyer robuste pour une transition africaine différenciée sera essentiel. La Banque devra défendre avec force le droit légitime de l’Afrique à utiliser ses ressources naturelles pour son développement économique, en soulignant sa contribution historique négligeable aux émissions mondiales. Dans cette optique, le gaz naturel sera présenté non comme une dépendance à long terme, mais comme une énergie de transition cruciale pour assurer la sécurité énergétique et soutenir l’industrialisation.
Parallèlement, une diversification agressive des sources de capitaux est impérative. Il s’agira de cibler activement les partenaires non traditionnels, tels que les fonds souverains et les capitaux privés, ainsi que les pays moins soumis aux pressions du désinvestissement des combustibles fossiles. Cette approche devra s’accompagner d’un dialogue constant avec les institutions occidentales ouvertes à une vision plus nuancée et pragmatique de la transition énergétique unique du continent.
Pour attirer ces investissements, la BAE devra mettre en place une atténuation robuste des risques perçus. Cela passera par le déploiement d’une gamme d’outils financiers, incluant des garanties de risque, des instruments de couverture contre les fluctuations monétaires et des structures de capital mixte (blended finance). Son rôle de pourvoyeur de capitaux d’amorçage (equity catalyseur) durant les phases les plus risquées du développement des projets sera également clé pour améliorer leur « bancabilité » et rassurer les investisseurs internationaux.
Au-delà des financements internationaux, la mobilisation des capitaux locaux constituera une priorité absolue. Une part essentielle de la stratégie consistera à canaliser l’épargne africaine, notamment via les fonds de pension et les fonds souverains, vers les projets énergétiques nationaux. Pour y parvenir, la Banque devra développer des plateformes d’agrégation et concevoir des produits d’investissement adaptés pour rendre ces actifs accessibles.
Enfin, consciente de la rareté des projets prêts à être financés, la BAE devra renforcer son soutien à la préparation de projets. Cela impliquera de créer des fonds de développement de projets dédiés et d’offrir une assistance technique ainsi que des services de conseil pour accompagner les porteurs de projet de la conception initiale jusqu’à la phase de financement, assurant ainsi un pipeline constant d’opportunités « bancables ».
Au-delà des capitaux externes, la BAE priorise la mobilisation de ressources locales via les fonds de pension et souverains, à travers l’éducation, les réformes politiques et des plateformes d’agrégation. Des modèles innovants comme le financement mixte, les obligations vertes, les partenariats public-privé (PPP), les prêts à long terme et les plateformes numériques sont encouragés pour diversifier les investissements.
La rareté de projets énergétiques « bancables » est un frein majeur. La BAE s’attaque à cela en créant des fonds de développement de projets, en offrant une assistance technique et des conseils pour accompagner les initiatives de la conception à la maturité. Elle aide également les gouvernements à élaborer des « pactes énergétiques nationaux » pour des plans d’électrification alignés et finançables, et organise des tables rondes pour connecter développeurs et financiers.
Pour réussir d’ici 2030, plusieurs facteurs sont essentiels : une volonté politique soutenue, des réformes, une intégration régionale pour optimiser les ressources, un approfondissement des marchés financiers locaux, l’innovation dans les instruments financiers, le renforcement des capacités et une collaboration internationale forte.
La Banque Africaine de l’Énergie incarne l’espoir d’un continent résilient et prospère. En tant que moteur de cette transformation, elle pave la voie à une Afrique où l’énergie est accessible à tous, stimulant la croissance et l’équité. Forvis Mazars, engagé dans ce paysage dynamique, continue d’apporter son expertise financière et stratégique pour soutenir cette vision d’un continent énergétiquement sécurisé.