En Mauritanie, la société australienne Aura Energy s’apprête à écrire une nouvelle page de l’histoire minière du pays avec le développement de la première mine d’uranium à Tiris, dans le nord-est du Sahara mauritanien. Prévue pour démarrer d’ici fin 2025, avec une production attendue en 2027, cette initiative intervient dans un contexte mondial favorable à l’énergie nucléaire, marquée par une reprise des prix de l’uranium et un regain d’intérêt pour cette source d’énergie décarbonée. Cependant, des défis logistiques, financiers et contractuels pourraient compliquer la réalisation de ce projet ambitieux.
Le bouclier de Reguibat, situé dans le désert mauritanien, est connu pour son potentiel uranifère depuis les années 1960. C’est en 2008 qu’Aura Energy, initialement à la recherche d’or, détecte une anomalie radiométrique révélant des gisements d’uranium dans la région de Tiris Zemmour, à 1 400 km de Nouakchott. « Nous avons identifié de l’uranium et débuté des travaux, mais la crise financière mondiale de 2008, suivie par l’accident de Fukushima en 2011, a fait chuter les prix de l’uranium, rendant le financement difficile », explique Andrew Grove, PDG d’Aura Energy et ancien cadre de la filiale australienne d’Orano. Avec des ressources estimées à 91,3 millions de livres d’oxyde d’uranium (U3O8), le projet Tiris pourrait produire 2 millions de livres par an sur 25 ans, selon une étude de faisabilité de 2024, avec une option d’expansion à 4 millions de livres.
Le projet Tiris s’inscrit dans une conjoncture favorable. Les prix de l’uranium, après avoir atteint des sommets à 100 $ la livre entre décembre 2023 et janvier 2024, devraient grimper jusqu’à 150 $ d’ici 2027, portés par une demande croissante pour l’énergie nucléaire, perçue comme une solution décarbonée face au changement climatique. La Banque mondiale, après des décennies d’hésitation, soutient à nouveau le financement de projets nucléaires, une aubaine pour des initiatives comme Tiris. De plus, de nombreuses mines d’uranium à travers le monde arrivent en fin de vie, renforçant l’attrait pour de nouveaux gisements comme ceux de Mauritanie.
Le gisement de Tiris présente des avantages compétitifs : peu profond (3 à 5 mètres), il permet une exploitation à ciel ouvert par des méthodes de « free-digging », réduisant les coûts opérationnels à 35,70 $ par livre d’U3O8, selon l’étude de faisabilité (auraenergy.com.au). Avec un investissement initial de 230 millions de dollars et un retour sur investissement prévu en 2,25 ans à un prix de 80 $ la livre, le projet affiche une valeur nette actualisée (VNA) de 499 millions de dollars et un taux de rendement interne (TRI) de 39 %.
Malgré ces perspectives, Aura Energy fait face à des obstacles significatifs. La société, qui a obtenu tous les permis nécessaires, y compris l’autorisation de l’Autorité nationale de radioprotection, de sûreté et de sécurité nucléaire (ARSN) en juillet 2024, cherche à lever 230 millions de dollars pour atteindre une décision finale d’investissement (FID) d’ici le premier trimestre 2025. Des discussions sont en cours avec une banque de développement occidentale pour un prêt couvrant 50 à 60 % des coûts, mais, comme le souligne Teva Meyer, expert en géopolitique du nucléaire, « Aura Energy n’a pas encore signé de contrats d’achat avec des exploitants de réacteurs nucléaires, une étape cruciale pour rassurer les investisseurs privés sur la viabilité commerciale du projet ».
Un accord d’écoulement (offtake) existe avec Curzon Uranium, signé en 2019, pour 800 000 livres d’U3O8 sur sept ans, avec une option pour 1,8 million de livres supplémentaires. Cependant, des contrats supplémentaires avec des opérateurs de réacteurs sont nécessaires pour sécuriser le financement. Aura Energy collabore avec Orimco et Macquarie Capital pour structurer un montage financier combinant dette et investisseurs stratégiques, potentiellement incluant une prise de participation directe dans le projet.
L’absence d’infrastructures logistiques pour les matières radioactives en Mauritanie constitue un autre défi. Le yellowcake, produit final de l’usine de traitement, sera conditionné dans des fûts en acier sécurisés et transporté par camion sur 1 400 km jusqu’au port de Nouakchott via une piste désertique et une route partiellement goudronnée. « Aucun uranium ou matière radioactive ne transite actuellement par Nouakchott, ce qui implique la mise en place de nouvelles procédures administratives et la recherche d’armateurs spécialisés », note Teva Meyer. Les volumes prévus, bien que modestes (1 000 tonnes d’U3O8 par an), pourraient ne pas être suffisamment attractifs pour les transporteurs maritimes spécialisés, rendant le commerce potentiellement coûteux.
Aura Energy a toutefois engagé une entreprise internationale spécialisée dans le transport de matières radioactives pour assurer l’acheminement du yellowcake vers des convertisseurs internationaux. Une centrale électrique hybride diesel-solaire de 6,2 MW, incluant 2,1 MW de solaire, alimentera le site, tandis qu’un camp d’hébergement pour 200 personnes sera construit à 3 km de l’usine.
Avec un potentiel d’expansion significatif, notamment grâce à des zones nouvellement identifiées à Hippolyte South et Sadi, Aura Energy pourrait envisager de céder la mine à un opérateur plus important, comme le géant français Orano, dont Andrew Grove connaît bien les rouages. « Le projet Tiris pourrait attirer des acteurs majeurs cherchant à diversifier leurs sources d’uranium dans un contexte de tensions géopolitiques, notamment avec le Niger et le Kazakhstan », suggère un analyste du secteur. La Mauritanie, avec son gouvernement favorable à l’exploitation minière et une participation étatique pouvant atteindre 20 %, offre un cadre stable pour de tels partenariats.
Le projet Tiris pourrait positionner la Mauritanie comme le deuxième producteur d’uranium d’Afrique de l’Ouest, derrière le Niger, et diversifier son économie, actuellement dominée par l’or et le fer. Avec une durée de vie initiale de 25 ans et des revenus estimés à 2,25 milliards de dollars à 80 $ la livre, Tiris représente une opportunité économique majeure. Cependant, son succès dépendra de la capacité d’Aura Energy à sécuriser des contrats d’écoulement, à surmonter les défis logistiques et à obtenir un financement complet.
Dans un contexte de « renaissance nucléaire » mondiale, portée par des projets comme l’accord entre Constellation Energy et Meta pour alimenter des centres de données à partir de 2027, Tiris pourrait bénéficier de la demande croissante. Mais pour l’heure, la petite société australienne doit relever des défis de taille pour transformer ce gisement modeste en une réussite commerciale.