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Pierre Lhermitte sur le pétrole : “le contenu local doit être compétitif“

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Pierre Lhermitte sur le pétrole : “le contenu local doit être compétitif“

Consultant spécialisé dans le secteur pétrolier africain, Pierre Lhermitte estime qu’il faut que le contenu local s’inscrive dans une logique rationnelle de compétitivité et de création de valeur. Entretien.


Comment devrait-on vous présenter ? Quel est votre rôle dans la chaîne de valeur du pétrole ?


Je suis un consultant international, passionné par les problématiques de création de valeur en Afrique et spécialisé dans le secteur pétrolier. Aujourd’hui, je mets mes compétences au service des États Africains pour les aider à tirer le meilleur parti de leurs réserves de pétrole et de gaz. Officier de Marine Marchande, j’ai passé la première partie de ma carrière principalement dans la salle des machines, passant progressivement des navires de commerces aux plateformes de forage avant de rejoindre le groupe Total comme spécialiste marine puis comme responsable logistique. Cette deuxième étape professionnelle m’a permis de passer plus de 10 années au cœur des opérations pétrolières amonts et de découvrir un monde d’excellence et de défis techniques toujours plus audacieux mais aussi de gaspillage et d’inefficience systémique.

Après un passage à l’INSEAD, pour un Executive MBA, je me suis résolu à tenter de comprendre les mécanismes d’escalade des coûts pétroliers. Rapidement, il m’est apparu que les premières victimes des surcoûts sont les pays producteurs africains puisque l’immense majorité des moyens de production y sont importés. Le contenu local s’est alors imposé comme une évidence, mais je n’ai pas souhaité proposer mes services aux États africains sans retourner de nouveau à l’école, à Sciences Po cette fois, pour un Master de Politique et Management du Développement spécialisé sur l’Afrique.

Aujourd’hui cette triple casquette technique, business et politiques publiques me permet de contribuer à l’élaboration de stratégies nationales visant non seulement à maximiser la valeur ajoutée des projets pétroliers et gaziers, mais aussi à écarter les effets secondaires dramatiques, communément regroupés sous le terme malédiction du pétrole. Ceci m’assure aujourd’hui des missions passionnantes pour lesquelles je me sens d’autant plus à l’aise que j’ai rejoint récemment le cabinet de conseil Performances et que je peux désormais m’appuyer sur l’expérience de ce groupe qui travaille depuis 25 ans à la transformation des économies africaines, et de son dirigeant, Victor Ndiaye qui a su bâtir le premier cabinet africain de classe mondiale.

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La société civile africaine estime en général que les contrats de partage pétroliers sont déséquilibrés ? Qu’en est-il ?

La société civile a raison d’être exigeante mais pour répondre à votre question, je vous propose un petit retour en arrière pour observer l’évolution du partage de la richesse entre les compagnies pétrolières et les États hôtes. Ce retour nous permet de constater qu’avant la généralisation des contrats de partage de production, le système prévalent était le régime de concession. Dénué de tout risque pour le pays hôte, les premières concessions se sont néanmoins révélées extrêmement désavantageuses pour des pays qui, peu conscients de la valeur des réservoirs, acceptaient des rentes forfaitaires ou un fixe par baril. L’addition de majoration de la rente en cas de hausse des cours à quelque peu réduit le déséquilibre mais la véritable avancée eut lieu dans les années 60 avec l’apparition en Indonésie du premier contrat de partage de production.

Ce type d’accord, majoritairement utilisé aujourd’hui, constitue un véritable partenariat entre le groupe de compagnies pétrolières d’une part, comprenant éventuellement la compagnie nationale, et l’État producteur, d’autre part, qui prend désormais sa part de risque technique et commercial. Le mécanisme général de ce type de contrat est très simple : le groupe entrepreneurs avance les investissements et conduit les opérations pétrolières pour assurer la production. Cette production sert en premier lieu à rembourser les coûts pétroliers, avant que le solde, appelé profit pétrolier, ne soit partagé entre l’État et le groupe de compagnies pétrolières.

Aujourd’hui, on peut schématiser en disant que dans les cas les moins favorables, le profit est partagé à 50/50 entre les deux parties, mais que le plus souvent, l’État producteur est majoritaire. Il est sans doute possible de toujours faire mieux mais en l’état actuel des choses, je ne pense pas qu’on puisse dire que le partage est déséquilibré mais qu’il reflète au contraire, l’équilibre d’éléments fondamentaux qui sont la propriété légitime de la ressource d’un côté, et de l’autre, le savoir-faire, le financement et le risque découverte. Ce n’est donc pas le moment de crier au scandale mais plutôt celui d’œuvrer sans relâche pour modifier cet équilibre entre les parties. Rappelons que c’est, entre autres, la connaissance du réservoir qui a permis aux pays producteurs de passer avec succès des contrats de concessions aux contrats de partage de production et que ce sera la parfaite maitrise du forage et des architectures pétrolières qui leur permettra d’évoluer vers des contrats de services plus avantageux. C’est à ce titre qu’il convient de saluer la création au Sénégal, de l’Institut National du Pétrole et du Gaz qui vise à éliminer l’asymétrie d’information et de formation.


Quel rôle joue la fiscalité dans l’équilibre entre les parties ?

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La fiscalité est un outil potentiellement puissant mais n’étant pas fiscaliste, je ne rentrerai pas dans les détails et me bornerai à rappeler qu’il s’agit avant tout d’un levier de répartition interne des revenus tirés des hydrocarbures. En effet, si on prend la vue d’ensemble, la valeur d’un réservoir de pétrole ou de gaz sera partagée entre trois classes d’acteurs : les fournisseurs, les compagnies pétrolières et l’État. Que ce dernier tire ses revenus d’une part de production en nature, de plus ou moins de redevances ou d’impôts sur les bénéfices ne modifie pas nécessairement le montant total de la valeur qui lui revient. Il n’y a donc pas de formule unique qui permette de maximiser le revenu total de l’État mais une chose certaine est qu’il est impératif de coordonner les différentes exigences légales, contractuelles et fiscales.

Car du côté des compagnies pétrolières, l’appréciation financière d’un projet est consolidée dans une feuille de calcul compilant l’intégralité des éléments avec pour résultat, un avis “Go / no Go“. Seule une approche similaire de la situation peut permettre aux pays hôtes de laisser à leur partenaire le juste profit correspondant au savoir-faire et au risque encouru. Des exigences trop basses amènent au sacrifice d’une portion de la valeur de l’État alors que des demandes exagérées provoquent la fuite des compagnies exploratrices vers d’autres horizons. C’est seulement après avoir défini une valeur cible globale que doit s’établir la stratégie de répartition entre les impôts et taxes, la part de production, les redevances éventuelles et autres dispositions diverses. En ce qui concerne les impôts, un élément déterminant pour un État est sa capacité réelle à taxer des acteurs parfois experts en optimisation fiscale.


Quelles sont les autres pistes pour les pays africains pour créer de la valeur ?

Une fois fixés les termes du contrat pétrolier, les compagnies pétrolières deviennent les partenaires stratégiques des États hôtes et leur partenariat, s’il fonctionne bien, peut entrainer une création de valeur de supplémentaire, notamment en luttant ensemble pour la maitrise des coûts pétroliers, c’est-à-dire en évitant de laisser une part trop importante aux fournisseurs. Aujourd’hui encore, malgré des efforts de rationalisation consécutifs à la chute du baril, les moyens de production restent trop nombreux et sont facturés à des tarifs qu’aucune autre industrie n’accepterait de payer. Nul ne saurait être blâmé pour cela car le problème est non seulement mondial mais aussi systémique.

Pour les pays africains cependant, la sanction est double puisque l’immense majorité de ces moyens de production est toujours massivement importée. Prenons l’exemple d’un navire ravitailleur superflus : dans le Golfe du Mexique, ce navire probablement construit aux États-Unis contribuera à faire tourner l’économie américaine, alors que dans le cas d’un pays africain, il s’agira d’une perte sèche. Ce constat désolant a motivé les campagnes audacieuses de contenu local observées avant 2014, visant à “recycler“ une plus grande partie des coûts dans les économies nationales des pays producteurs. Le succès technique est incontestable et l’Angola ou le Nigéria, pour ne citer qu’eux, ont montré au monde entier la capacité de pays africains à relever des défis techniques de premier plan.

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Au niveau économique, en revanche, le bilan est plus mitigé, et c’est là un euphémisme. Faute de stratégies de création de valeur, ces initiatives ont généralement abouti à des augmentations de coûts et, trop souvent, à une destruction de valeur pour les pays concernés. Pour éviter cela, le développement du contenu local ne doit pas retarder, ni renchérir la production des hydrocarbures, sauf vision stratégique à long terme. Je recommande donc de tempérer les ambitions d’une touche de réalisme et de conquérir la chaine de valeur “bottom up“. Il y a énormément à faire dans les services et notamment la logistique, et ces services ont, en outre, l’avantage de pouvoir être transposés à d’autres secteurs productifs et de favoriser ainsi la diversification des économies.


Au sujet des coûts justement, quel est le coût moyen de production du pétrole africain comparé à celui du Moyen Orient ou d’autres régions du globe ?

Le pétrole saoudien, produit principalement à terre, est, encore aujourd’hui, le plus facile à produire et donc le moins cher du monde. En comparaison, le pétrole africain, issu en grande partie de champs situés en mer dans des eaux de plus en plus profondes nécessite des investissements beaucoup plus importants et sa production qui nécessite plusieurs années de développement, coute plus cher. Abstraction faite du facteur qualitatif, le pétrole saoudien bénéficie donc d’un avantage compétitif évident.

Pourtant, ce n’est pas nécessairement d’Arabie Saoudite que vient le danger mais plutôt des États-Unis avec le développement récent de pétrole de schiste. Cette production supplémentaire inattendue, rendue possible par les techniques de fracturation, est venue bousculer l’équilibre entre l’offre et la demande, et reste l’une des causes principales du prix relativement bas qu’on observe actuellement.

Ce pétrole non conventionnel, encore cher à produire mais exempt des investissements initiaux massifs qui caractérisent le pétrole conventionnel offshore africain, risque de continuer à peser sur les marchés même s’il est évidemment impossible de prévoir l’évolution des prix tant les facteurs en jeu sont nombreux. Pour tenter d’anticiper l’offre future de ce pétrole non conventionnel, il faudra d’un côté, suivre les progrès techniques à même de réduire les coûts de production et d’améliorer le taux de récupération, et de l’autre observer la complexité grandissante et la distance croissante vers les réseaux de distribution des réservoirs restant à produire.

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Concrètement, quel avenir pour le pétrole africain ? 

La question qui se pose avant tout est quel est l’avenir du pétrole en général. Il existe de nombreuses études et les scénarios associés vont d’une flambée des prix à pétrole bon marché en passant par autant de valeurs moyennes. Par ailleurs, rien n’interdit de penser qu’une innovation radicale motivée par des contraintes environnementales croissante ne viendra pas un jour rendre cette matière première définitivement obsolète. A l’inverse, une autre invention pourrait lui trouver un nouvel usage et le rendre encore plus indispensable. Il est donc extrêmement difficile de se positionner avec certitude et il sera de plus en plus nécessaire d’adopter des stratégies flexibles et évolutives. Ces stratégies devront néanmoins s’appuyer sur des constantes fortes : la maitrise des coûts, le développement d’un contenu local compétitif ou encore la diversification des économies. Un point essentiel est de de noter que l’excès de l’offre par rapport à la demande exacerbe la compétition entre producteurs mais que cette compétition peut être à géométrie variable. Une compétition au sein des pays producteurs africains pour inciter les compagnies pétrolières à développer en priorité leur potentiel minier, aboutira inexorablement au sacrifice d’une partie supplémentaire de la valeur des réserves.

A l’inverse, une collaboration étroite et une convergence des exigences permettront aux pays producteurs africains de mieux défendre leurs intérêts vis-à-vis de leurs partenaires techniques. De même, des stratégies concertées visant à réduire les coûts sans sacrifier le contenu local, mais aussi à améliorer le climat des affaires pour faire baisser le risque pays permettront de lutter plus efficacement contre la concurrence du pétrole non conventionnel américain. Rendons hommage à cette occasion à l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africain et à son Secrétaire Général, M. Mahaman Laouan Gaya, qui œuvre sans relâche pour rendre le secteur pétrolier africain plus fort, bien aidé cette année par le Ministre des Mines et de Hydrocarbures de Guinée Équatoriale, M. Gabriel Mbaga Obiang Lima, instigateur de l’initiative 2019, année de l’énergie. Ces leaders, et bien d’autres, ont compris que l’ère du pétrole n’est pas éternelle, mais qu’elle peut contribuer à développer une dynamique de développement et d’intégration en Afrique qui continuera à porter ses fruits bien après que les derniers puits ne soient taris ou abandonnés.

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