Thierno Alia MBENGUE : “Peut-on mettre en œuvre une politique de gestion des ressources pétrolières et gazières, en ignorant l’urgence du financement de la transition énergétique ?”

Projet de loi portant répartition et encadrement des revenus issus de l’exploitation des hydrocarbures : Peut-on mettre en œuvre une politique de gestion des ressources pétrolières et gazières, en ignorant l’urgence du financement de la transition énergétique ? Voici la pertinente analyse d’un spécialiste, à la veille du Conseil de Ministre devant examiner la question.
« Le COS PETROGAZ a organisé le 21 décembre 2021 un Conseil présidentiel, présidé par Macky SALL, sur la répartition et l’encadrement des revenus issus de l’exploitation des hydrocarbures. La démarche est salutaire mais le contenu du projet de loi reste perfectible. Le Ministre des finances et du budget, Abdoulaye Daouda DIALLO, dans son propos, a donné la répartition de revenus ci après :
• Budget général de l’Etat : 90% au maximum ;
• Fonds intergénérationnel : 10% au minimum ;
• Fonds de stabilisation : surplus entre recettes prévisionnelles vs réalisées.
Cette répartition me semble laisser en rade deux aspects très importants que sont le financement de la transition énergétique sénégalaise et la Recherche & Développement. La transition énergétique sénégalaise : A l’état actuel des découvertes, notre pays a des réserves certifiées évaluées à environ 40 Tcf soit près de 910 milliards m3 de gaz, réparties équitablement entre GTA et Yakaar-Teranga. La moitié de ces ressources permettra la mise en place de la stratégie “Gas To Power” avec le gisement de Yakaar-Teranga. Pour rappel, cette stratégie, dans ses grandes lignes, consiste à porter le mix électrique sénégalais à 70% de gaz.
Cependant, ces ressources vont s’épuiser suivant un horizon temporel de 30 ans. Qu’allons nous faire à l’épuisement de ces ressources dans 40 ans? Avec quels moyens de production et à quel coût allons-nous satisfaire la demande électrique du pays en 2060? La prise en compte de l’investissement dans le budget général de l’Etat est effectivement l’idée qui est défendue et véhiculée, mais connaissant nos administrations, l’investissement dans la transition énergétique risque d’être très vite oublié au détriment d’autres urgences jusqu’au jour où on se rendra compte que le gaz, le pétrole et la rente associée s’épuisent bientôt…
A ce niveau, il me semble qu’il serait une sage décision que de financer, à travers cette rente issue de l’exploitation de ces ressources, la poursuite de la transition énergétique vers des énergies alternatives en vue d’une meilleure préparation à l’après gaz.
Plus généralement, une stratégie long terme claire devrait être déclinée relativement à la transition énergétique sénégalaise prenant en compte l’après gaz.
La R&D : S’il y a bien un domaine dans lequel nous sommes très en retard c’est bien la R&D et nous vivons au quotidien les conséquences de ce retard. Pour preuve, en 2019 quand la COVID est apparue, avec son lot de bouleversements, tous les sénégalais et les africains en général sont restés à attendre que la solution nous provienne d’ailleurs. Il en est de même pour nos ressources pétrolières et gazières, nous avons été incapables d’en assurer l’exploration encore moins l’exploitation par immaturité technique, technologique et financière.
A ce niveau également, il me semble qu’il serait judicieux de réserver une partie de ces ressources à la R&D. »
Thierno Alia MBENGUE, Ingénieur Polytechnicien, Titulaire du Master Energie Finance Carbone de l’Université Paris Dauphine.