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mercredi, octobre 1, 2025

Petrole, gaz, energie : souveraineté ou dependance reprogrammée ?

par Mapathé SOW
0 commentaires 17 minutes lire

Le Sénégal s’apprête à entrer dans le club des pays producteurs d’hydrocarbures avec les projets Sangomar, GTA et Yakaar-Teranga. Mais cette nouvelle ère pose une question essentielle : allons-nous simplement exploiter ou allons-nous souverainement transformer ?

Dans ce neuvième numéro de la newsletter Sénégal 2050 & Souveraineté, coécrit avec Pape Babacar Thiam, Ingénieur en Génie civil (Spécialité géotechnique || Routes (dimensionnement des pavés) || Stabilité des résidus || Certification sur la TVA applicable aux opérations pétrolières et gazières), nous proposons une réflexion stratégique sur la place de l’énergie dans la construction d’un État souverain, industriel et durable.

Cet article analyse sept piliers fondamentaux :

  • la souveraineté industrielle portée par l’énergie ;
  • la valorisation du gaz et du pétrole pour l’économie locale ;
  • le contenu local comme moteur de transformation ;
  • la transition vers un mix énergétique diversifié (gaz, typha, solaire…) ;
  • la gouvernance environnementale et la transparence ;
  • l’inclusion sociale et l’acceptabilité citoyenne ;
  • et les arbitrages budgétaires autour de la dette, des subventions et de l’avenir.

Le pétrole peut enrichir un pays ou le piéger. Tout dépend de la stratégie.

INTRODUCTION : De la souveraineté énergétique, un défi multidimensionnel

L’indépendance énergétique est un défi crucial pour les pays africains comme le Sénégal. Elle conditionne notre capacité à mener une politique industrielle cohérente, à transformer localement nos matières premières, à stabiliser nos finances publiques et à renforcer notre influence géostratégique.

Le Sénégal, en pleine mutation politique et économique, s’apprête à exploiter ses ressources pétrolières et gazières (Sangomar, GTA, Yakaar-Teranga). Mais sans stratégie claire, sans gouvernance transparente, sans planification budgétaire et environnementale rigoureuse, cette manne peut vite devenir un piège.

L’histoire mondiale nous enseigne que l’énergie (pétrole, gaz, électricité) a toujours été au cœur de toute transformation économique : de la France des Trente Glorieuses à la Chine contemporaine. Pourquoi le Sénégal ne pourrait-il pas à son tour transformer cette rente en moteur de souveraineté ?

1.    Une énergie au cœur de la souveraineté industrielle

L’énergie a toujours été au fondement de toute souveraineté réelle. Dans les pays développés, les transitions industrielles ont été rendues possibles grâce à l’accès massif à une énergie abondante et bon marché. Le pétrole, en particulier, a joué un rôle décisif dans les Trente Glorieuses en Europe et au Japon, et plus récemment dans l’essor industriel de pays comme la Chine ou l’Inde.

Au Sénégal, l’histoire est toute autre. Malgré une dépendance chronique aux importations de pétrole, le pays a souvent subi les fluctuations du marché mondial sans pouvoir y opposer une stratégie énergétique structurée. Les subventions massives à la SENELEC, le coût élevé de l’électricité pour les ménages comme pour les entreprises, et l’absence d’une politique industrielle énergétiquement soutenable ont longtemps freiné le développement.

Avec la découverte de gisements comme Sangomar, GTA ou Yakaar-Teranga, le Sénégal entre dans une ère nouvelle. Mais le pétrole et le gaz ne garantissent pas automatiquement la souveraineté énergétique. Tout dépendra de la manière dont ces ressources seront exploitées, valorisées et intégrées à une vision de long terme.

Trois leviers apparaissent essentiels :

1.1 Planifier une industrie nationale soutenue par l’énergie

Le gaz naturel, s’il est utilisé pour produire de l’électricité à bas coût (via le gas-to-power), pourrait soutenir des secteurs comme l’agro-industrie, la cimenterie, la sidérurgie ou encore la chimie locale. Cela suppose une anticipation territoriale : où implanter les centrales ? Comment les connecter aux zones de production ?

1.2 Développer des infrastructures nationales de souveraineté

Les pipelines, terminaux GNL, unités de stockage et de liquéfaction, et infrastructures de raffinage doivent être pensés dans une logique nationale. L’exemple de la raffinerie Dangote au Nigéria montre qu’un acteur africain peut intégrer toute la chaîne de valeur énergétique et s’affranchir du tout-importation. Le Sénégal, lui, dépend encore d’une raffinerie à moderniser (la SAR), dont la montée en puissance doit être un objectif stratégique.

 1.3 Sécuriser l’accès à l’énergie pour les territoires

La souveraineté énergétique ne se résume pas aux chiffres d’exploitation. Elle doit se traduire concrètement dans la baisse des coûts de production pour les entreprises locales, dans la sécurisation des approvisionnements pour les ménages, et dans la réduction des inégalités entre Dakar et les régions.

2.    Valoriser stratégiquement le pétrole et le gaz sénégalais

Le Sénégal, avec l’entrée en production de champs comme Sangomar, GTA (Grand Tortue Ahmeyim) et bientôt Yakaar-Teranga, s’engage dans une nouvelle ère : celle d’un pays producteur d’hydrocarbures. Mais être producteur ne signifie pas automatiquement être souverain.

La clé réside dans la capacité de l’État à valoriser cette ressource sur le long terme, à garantir une juste répartition des revenus, à structurer des filières locales, et à sécuriser l’indépendance énergétique nationale.

2.1 Des contrats à sécuriser et à surveiller

La première bataille de la souveraineté se joue dans les contrats de partage de production et de gestion des gisements. Les conventions signées avec Woodside (Sangomar) et BP (GTA) devront faire l’objet d’un suivi rigoureux : transparence sur les coûts pétroliers, contrôle sur la fiscalité, audit des mécanismes de partage.

PETROSEN, bras armé de l’État, a un rôle crucial à jouer. Mais il lui faut des compétences, des moyens et une autonomie de décision, sans pression politique ni lourdeur administrative. La mise en place d’un système de reporting public et indépendant (inspiré de l’ITIE) est une condition de base.

2.2 Le cas stratégique de Yakaar-Teranga : priorité au marché national

Le champ gazier de Yakaar-Teranga représente l’un des plus gros potentiels en gaz en Afrique de l’Ouest. Contrairement à GTA, conçu pour l’export via le GNL, Yakaar-Teranga doit être prioritairement orienté vers l’approvisionnement du marché intérieur : production d’électricité, industrialisation, alimentation des zones industrielles et développement du gaz domestique.

Cette orientation stratégique est d’autant plus essentielle qu’elle permettrait de :

  • Réduire la facture énergétique nationale ;
  • Diminuer les subventions à la SENELEC ;
  • Favoriser un tissu productif local capable d’exporter des biens transformés.

2.3 L’enjeu des infrastructures souveraines

Sans raffinerie nationale performante, le Sénégal risque de continuer à exporter du brut pour importer du carburant raffiné à un coût élevé. Il est donc stratégique de :

  • Moderniser la SAR ou d’implanter une nouvelle unité de raffinage ;
  • Développer un réseau de pipelines nationaux pour sécuriser la distribution ;
  • Mettre en place un terminal gazier moderne connecté aux zones industrielles et aux pôles énergétiques régionaux.

2.4 Maîtriser les flux, créer de la valeur

Valoriser le pétrole et le gaz, ce n’est pas juste percevoir des redevances. C’est organiser une transformation locale intelligente, en garantissant que :

  • les flux financiers soient stabilisés (fonds souverain, fiscalité extractive juste),
  • les flux énergétiques servent d’abord l’économie nationale (priorité à l’énergie locale),
  • et que les flux de compétences soient nationaux (formation locale, pas externalisation systématique).

3.    Contenu local et souveraineté économique

La souveraineté énergétique ne se décrète pas. Elle se construit à partir du territoire, avec les femmes, les hommes, les entreprises locales, les filières de formation, les outils technologiques maîtrisés… Le pétrole ou le gaz peuvent enrichir un pays ou le rendre plus dépendant. La différence réside dans ce que ce pays choisit de faire avec ses ressources.

Le contenu local est précisément ce mécanisme qui permet de transformer une rente volatile en richesse durablement ancrée dans le tissu national. C’est aussi l’un des indicateurs les plus concrets du niveau réel de souveraineté.

3.1 Une loi ambitieuse… mais encore fragile

Le Sénégal s’est doté en 2019 d’une loi sur le contenu local dans le secteur des hydrocarbures. Celle-ci vise à :

  • Réserver une part des contrats aux entreprises sénégalaises,
  • Favoriser l’emploi local dans les projets pétroliers et gaziers,
  • Renforcer les transferts de compétences et de technologies,
  • Créer des centres de formation spécialisés.

Mais la mise en œuvre reste inégale, et parfois lente. Le manque de préparation des PME locales, la complexité des exigences des opérateurs internationaux, et l’absence de mécanismes clairs de contrôle ou de sanction fragilisent l’impact de la loi.

3.2 Former, intégrer, responsabiliser

La souveraineté énergétique exige des compétences techniques de haut niveau : ingénierie pétrolière, géophysique, réglementation, logistique offshore, environnement industriel… Il faut donc :

  • Renforcer l’offre universitaire et technique (ex. : ISEP, UGB, IST) ;
  • Financer les formations qualifiantes pour les jeunes des zones d’exploitation ;
  • Favoriser l’insertion professionnelle dans les filiales et sous-traitants du secteur.

Une stratégie d’insertion ciblée des jeunes et des femmes, en particulier dans les activités de soutien, les chaînes logistiques et les métiers de maintenance, permettrait à la fois une plus grande acceptabilité sociale et une répartition plus équitable de la valeur.

3.3 Les PME sénégalaises : actrices ou figurantes ?

Aujourd’hui, les marchés liés aux hydrocarbures sont largement captés par des multinationales. Les PME locales ont souvent du mal à répondre aux normes, aux délais, aux exigences financières.

Il est donc urgent de :

  • Créer un fonds de développement des PME extractives,
  • Mettre en place une plateforme de référencement, certification et accompagnement,
  • Développer des incubateurs spécialisés dans les services pétroliers (logistique, ingénierie, audit, sécurité…).

L’objectif est clair : faire émerger une économie sénégalaise du pétrole et du gaz, qui ne soit pas dépendante des acteurs étrangers, mais intégrée, résiliente et compétitive.

4.    Transition énergétique et mix diversifié : entre gaz et renouvelables

La transition énergétique n’est pas un luxe pour le Sénégal. Elle est une nécessité stratégique, à la croisée de trois impératifs :

  1. Sécuriser l’approvisionnement et l’indépendance énergétique à moyen terme ;
  2. Réduire les subventions et coûts qui pèsent lourdement sur le budget national ;
  3. Respecter les engagements climatiques dans le cadre de l’Accord de Paris et de la JETP (Just Energy Transition Partnership).

La manne gazière offre une opportunité, mais elle ne doit pas retarder le virage vers un mix plus propre, plus diversifié, et plus inclusif.

4.1 Le gaz naturel comme solution de transition

L’exploitation du gaz à travers le modèle gas-to-power peut :

  • Stabiliser la production d’électricité,
  • Réduire les coûts pour les ménages et les industries,
  • Permettre la sortie progressive du fuel lourd.

Le projet Yakaar-Teranga est à ce titre crucial pour alimenter des centrales thermiques modernes à faible émission, et soutenir les filières industrielles. Cependant, le gaz ne doit pas devenir un nouveau point de dépendance : son rôle doit être celui d’un pont entre le pétrole et les renouvelables.

4.2 Le typha : une innovation sénégalaise au potentiel sous-estimé

L’un des apports les plus novateurs du texte de Pape Babacar Thiam est de souligner le potentiel énergétique du typha, une plante invasive qui prolifère dans les zones humides. Plutôt que de la considérer comme une nuisance, il propose de :

  • l’exploiter pour produire du biocombustible,
  • la transformer en charbon vert ou briquettes industrielles,
  • intégrer cette filière dans les pôles de développement territorial.

Ce modèle de valorisation circulaire est doublement vertueux : il crée de l’énergie propre et des emplois locaux, tout en restaurant les écosystèmes affectés.

4.3 Les énergies renouvelables : solaire, éolien, hydrogène vert

Le potentiel solaire et éolien du Sénégal est considérable. Des projets comme Taïba Ndiaye (éolien) ou les centrales solaires de Kahone, Bokhol et Malicounda sont déjà en place. Mais leur poids dans le mix reste marginal (moins de 20 %).

Il faut :

  • Lever les obstacles réglementaires et logistiques,
  • Renforcer les infrastructures de stockage et de distribution,
  • Intégrer les projets solaires aux stratégies d’aménagement local,
  • Explorer les perspectives de production d’hydrogène vert à partir des ressources renouvelables.

4.4 Une stratégie cohérente et connectée

La transition ne peut réussir que si :

  • les projets sont pensés dans une logique de mix et non de substitution ;
  • les institutions sont coordonnées autour d’un plan de transition clair ;
  • les ressources naturelles (gaz, soleil, biomasse, vent) sont territorialisées.

Le mix énergétique sénégalais ne doit pas être imposé par les bailleurs ou les marchés, mais bâti sur une logique de résilience, de justice spatiale et de souveraineté.

5.    Gouvernance, environnement et transparence : pilier de durabilité

La souveraineté énergétique ne peut être dissociée d’un cadre de gouvernance solide et responsable. Le pétrole et le gaz ne sont pas que des ressources : ils sont des épreuves de vérité pour la démocratie, la justice environnementale et la capacité des institutions à encadrer la puissance.

“Sans gouvernance, pas de souveraineté. Et sans souveraineté, la rente devient malédiction.”
Voilà ce que l’histoire du Nigéria, de l’Angola ou du Venezuela nous enseigne.

5.1 Torchage, méthane et pollution : la face cachée de la rente

L’exploitation des hydrocarbures comporte de lourdes externalités environnementales :

  • émissions de méthane, gaz à effet de serre 80 fois plus puissants que le CO₂ ;
  • torchage du gaz naturel en mer, cause majeure de gaspillage et de pollution ;
  • risques de marées noires, contamination des nappes et des ressources halieutiques.

Le Sénégal doit se doter de technologies de réduction des émissions, et imposer des normes strictes aux opérateurs : captation, réinjection, valorisation locale.

5.2 Un cadre juridique renouvelé : le Code de l’environnement 2023

Le nouveau Code de l’environnement, adopté en 2023, offre une opportunité :

  • d’encadrer les études d’impact environnemental (EIE),
  • d’instaurer un atlas environnemental des zones d’exploitation,
  • de renforcer le contrôle citoyen sur les projets énergétiques.

Mais la loi seule ne suffit pas. Il faut des institutions capables, indépendantes, dotées de moyens réels.

5.3 Transparence et contrôle citoyen : vers un État stratège

La participation du Sénégal à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) est un acquis qu’il faut consolider. Elle doit être prolongée par :

  • un cadastre minier et énergétique public,
  • un système de reporting régulier, accessible, intelligible,
  • des plateformes d’alerte, de contrôle et de suivi ouvertes à la société civile.

Le COS-PETROGAZ, organe de coordination, gagnerait à être transformé en autorité indépendante dotée de pouvoirs d’investigation, d’évaluation et de sanction, loin des pressions partisanes.

5.4 Gouverner l’énergie comme un bien commun

Au-delà des contrats et des chiffres, l’enjeu est simple :
gouverner le pétrole et le gaz comme on gouverne l’eau, la santé, l’éducation : en bien public.

Cela suppose une approche éthique, intergénérationnelle et territorialisée, qui met la transparence, la redevabilité et la planification au cœur du pacte énergétique.

6.    Inclusion sociale et acceptabilité : vers une souveraineté partagée

La souveraineté énergétique ne se mesure pas seulement à l’autonomie géopolitique ou à la réduction des importations. Elle se juge à l’échelle des citoyens : ce qu’ils perçoivent, ce qu’ils vivent, ce qu’ils reçoivent.
Et là réside un paradoxe dangereux : un pays peut produire du pétrole… et voir ses citoyens s’en méfier, voire s’en détourner, faute d’information, d’équité ou de bénéfices tangibles.

6.1 Éviter la pré-malédiction par la transparence sociale

Avant même que la première goutte de pétrole sénégalais ne soit extraite, des signes d’impatience, de méfiance ou de résignation apparaissent.
Pourquoi ?

  • Parce que les populations ne sont pas suffisamment informées sur les projets, les contrats, les bénéfices attendus.
  • Parce que les territoires d’extraction ne perçoivent pas encore les retombées promises.
  • Parce que les attentes sont élevées, mais les promesses restent floues.

Un effort national de pédagogie et de transparence est indispensable pour maintenir la cohésion sociale et l’adhésion des populations.

6.2 Intégrer les communautés dans les projets d’exploitation

Les régions de Saint-Louis, Cayar, Bargny, et demain Rufisque ou Joal sont en première ligne.
Mais que savent les pêcheurs, les artisans, les commerçants, les jeunes de ces zones des projets en cours ?

Le Sénégal doit :

  • Intégrer systématiquement des plans de développement local participatifs autour des gisements,
  • Mettre en place des fonds de développement communautaire financés par les recettes extractives,
  • Créer des comités territoriaux de suivi et d’évaluation, incluant élus, leaders locaux, femmes, jeunes et société civile.

6.3 L’emploi local : de l’espoir à la réalité

La question de l’emploi est centrale dans l’acceptabilité.
Mais il faut éviter les effets d’annonce et poser les bases d’une véritable stratégie :

  • Identifier les métiers accessibles à court terme : sécurité, maintenance, logistique, nettoyage, catering…
  • Prévoir des formations ciblées et certifiantes, adaptées aux projets à venir,
  • Garantir un quota minimum de recrutement local dans les contrats,
  • Encourager l’entrepreneuriat local dans les services associés.

Sans emploi, il n’y aura pas d’adhésion. Sans adhésion, il n’y aura pas de stabilité.

6.4 La souveraineté comme contrat social

La souveraineté ne peut pas être technocratique. Elle doit être vécue comme un pacte entre l’État et son peuple.
Cela suppose :

  • des espaces de dialogue réguliers,
  • des outils de médiation en cas de tension,
  • et une vision inclusive du développement énergétique, qui dépasse les chiffres pour embrasser l’humain.

7.    Défis budgétaires, dette et arbitrages stratégiques

Le pétrole et le gaz sont souvent perçus comme une solution magique aux problèmes budgétaires. Mais dans les faits, ils peuvent aussi aggraver les déséquilibres s’ils ne sont pas encadrés par une gouvernance rigoureuse et des arbitrages transparents.

Le vrai défi n’est pas de recevoir de l’argent, mais de le gérer avec lucidité et en pensant aux générations futures.

7.1 Le piège de l’endettement anticipé

Depuis l’annonce des découvertes, le Sénégal a contracté de nombreux emprunts sur les marchés internationaux, parfois à des taux élevés, en anticipant des revenus futurs qui ne sont pas encore garantis.

Ce pari présente deux risques :

  • Si les revenus sont inférieurs aux prévisions, la dette devient insoutenable.
  • Si les priorités budgétaires ne sont pas clairement établies, les ressources peuvent être dilapidées sans transformation structurelle.

7.2 Subventions, privatisation, arbitrages difficiles

Le secteur énergétique est l’un des plus subventionnés. Des milliards sont dépensés chaque année pour amortir le coût de l’électricité. Dans ce contexte :

  • Faut-il continuer à soutenir la SENELEC sans réforme profonde ?
  • Faut-il privatiser certains segments stratégiques ?
  • Faut-il affecter les revenus pétroliers à la dette ou à l’investissement productif ?

Ces choix doivent être tranchés collectivement et en toute transparence.

7.3 Un fonds souverain et intergénérationnel : condition de stabilité

À l’image de la Norvège, du Botswana ou du Ghana, le Sénégal devrait créer un fonds souverain à double vocation :

  • Stabiliser les finances publiques à court terme (budget de soutien),
  • Investir dans l’avenir : éducation, santé, recherche, infrastructures.

Un fonds intergénérationnel, adossé à des règles strictes et une gouvernance indépendante, serait un gage de confiance, de transparence et de justice entre les générations.

CONCLUSION : Pour une souveraineté énergétique réelle, juste et durable

Le pétrole et le gaz ne sont ni une fin, ni un miracle. Ce sont des moyens.

Leur gestion sera le test ultime de notre capacité à planifier, à inclure, à gouverner et à innover. Car il ne suffit pas d’exploiter une ressource pour en tirer bénéfice : encore faut-il en maîtriser les effets économiques, sociaux, environnementaux et politiques.

Ce texte, coécrit entre un expert du terrain et un planificateur stratégique, appelle à une transition vers une intelligence énergétique :

  • une énergie pensée pour soutenir une vision industrielle,
  • une gestion planifiée, équitable et transparente des revenus,
  • une transition écologique adaptée aux réalités locales,
  • une souveraineté territorialisée, partagée, inclusive.

Le Sénégal a une fenêtre historique à ne pas rater. Il peut devenir un modèle africain de gestion souveraine et durable des ressources énergétiques. Mais il ne le deviendra qu’en plaçant l’éthique, la stratégie et la justice au cœur de l’action publique.

 

@Thierno DIALLO

Géographe, Expert en Planification – Aménagement – Réinstallation

 

@ Pape Babacar Thiam

Ingénieur en Génie civil (Spécialité géotechnique || Routes (dimensionnement des pavés) || Stabilité des résidus || Certification sur la TVA applicable aux opérations pétrolières et gazières)

 

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